Novembre 2012, Magazine Sciences humaines, Recension par Xavier de La Vega
Parmi les critiques du capitalisme contemporain figure l’idée que les entreprises sont gérées dans l’intérêt exclusif de leurs actionnaires (shareholders), négligeant les intérêts des autres «?parties prenantes?» (stakeholders), que sont les salariés, les consommateurs, les citoyens en général. Certains considèrent que la «?responsabilité sociale des entreprises?» et ses chartes de bonne conduite répondraient à cet état de fait. D’autres se penchent plutôt sur le mode de gouvernement des entreprises, plaidant pour une meilleure représentation des parties prenantes. C’est cette piste que choisit résolument Isabelle Ferreras. Cette sociologue et politologue insiste de longue date sur le caractère profondément politique de l’entreprise. Son mode de gouvernement ne peut, à ses yeux, se réduire à la «?rationalité instrumentale?» des actionnaires, mais exige de prendre en compte les expressions de ce tiers-état qu’incarnent les salariés. I. Ferreras plaide pour l’entrée de la démocratie dans les entreprises. Celles-ci feraient en quelque sorte exception dans une culture dominée par les valeurs démocratiques et la revendication de tous à être traités en égaux. Loin de s’en tenir à ce constat, la chercheure propose une innovation institutionnelle inspirée de la longue histoire de la démocratisation?: un bicaméralisme économique, autrement dit la représentation des salariés dans les instances de gouvernement de l’entreprise. Le bicaméralisme politique a introduit dans la Rome antique la représentation des plébéiens aux côtés des patriciens, puis dans l’Angleterre du XIVe siècle, celle du peuple (house of commons) aux côtés des seigneurs féodaux (house of lords). Cette institution a été une étape décisive dans l’avènement de la démocratie politique. Sa transposition dans le champ économique contribuerait aussi à l’efficacité des entreprises, dans la mesure où le point de vue des professionnels serait mieux pris en compte par les gestionnaires.