France – available online

Radio program presented by Olivia Gesbert with Julie BATTILANA and Isabelle FERRERAS, in La grande table des idées, on France Culture

Title: « Le travail vaut bien un Manifeste »

Webpage

« D’une tribune dans Le Monde en mai à leur « Manifeste Travail » chez Seuil en cette rentrée, Isabelle Ferreras, sociologue, et Julie Battilana, chercheuse et enseignante à la Harvard Business School et à la Harvard Kennedy School, nous aident à penser le monde du travail d’après la crise sanitaire

La tribune « Le Manifeste Travail » a d’abord été publiée à l’occasion de la fête du 1er mai 2020 en pleine crise du coronavirus sur le journal Le Monde, au sein d’un dossier spécial sur le monde post-covid 19. Au moment de sa parution le 16 mai dernier, la tribune est déjà signée par 3000 universitaires sur les cinq continents, provenant de 650 institutions académiques et issus de différentes disciplines. Ce manifeste est ensuite traduit et paraît les 16 et 17 mai simultanément dans 23 langues et 42 publications nationales. Aujourd’hui, plus de 6000 signatures ont été enregistrées sur le site internet de l’initiative.

Ce texte est en réaction pour toutes ces personnes au travail. Pendant ce confinement, nous, chercheuses, nous sommes dit qu’il fallait transmettre ce que l’on comprend de cette crise.  […] Nous avons écrit ce livre pour que les citoyens puissent s’en emparer pour aller plus loin. Mais ces principes ne sont pas nouveaux : l’affirmation que le travail n’est pas une marchandise constitue le préambule de la déclaration de Philadelphie [1944]. (Isabelle Ferreras)

La volonté de contribuer au mouvement permettant de penser « le monde d’après » la crise du covid et de multiplier les ponts entre le monde de la recherche et la pratique a donné jour à cet essai, rédigé par douze chercheuses représentant un large ensemble de disciplines. Chacune a choisi une phrase ou une expression du manifeste en le reliant à son travail de recherche pour la discuter et surtout faire des propositions de changement.

Dans cette crise, les femmes payent un lourd tribu. Les experts que l’on a entendu lors de cette crise sont majoritairement des hommes, or il y a des expertises féminines très reconnues, c’est pourquoi nous avons d’abord contacté nos collègues femmes. (Isabelle Ferreras)

Parce qu’un temps de changement peut faire suite à un temps de crise, il s’agit de tirer les conséquences de la crise et d’apporter une reconnaissance de la société pour ces travailleurs essentiels qui se sont révélés incontournables pour la résilience de notre société.

Nous sommes aujourd’hui face à un paradoxe : la crise nous a permis de prendre conscience de la place des travailleurs essentiels, et en même temps il y a un écart avec la façon dont notre société les reconnaît. Nous disons haut et fort qu’il faut réévaluer les salaires et permettre aux travailleurs de pouvoir participer aux décisions de l’entreprise. (Julie Battilana)

Le point incontournable du manifeste est la démocratisation du travail. Il s’agit de répartir le pouvoir plus équitablement entre les actionnaires et les employés. Cela passe notamment par une réévaluation des salaires, mais l’accent est surtout mis sur le fait de permettre aux employés de participer aux décisions stratégiques de l’entreprise en redonnant du pouvoir au comité d’entreprise, par exemple via un principe de double majorité, que nous explique Isabelle Ferreras (un « bicamérisme » dans l’entreprise, pour prendre un terme politique).  

Les travailleurs et travailleuses doivent pouvoir collectivement valider les décisions de leur entreprise. Ces investisseurs en travail sont la partie constituante de l’entreprise, jusqu’alors présent complètement oubliée par le fonctionnement de l’entreprise capitaliste. (…) Les entreprises ne doivent pas seulement se soumettre à la bonne volonté de ceux qui apportent du capital financier. (Isabelle Ferreras)

Cela va de pair avec une démarchandisation et une dépollution du travail.

On ne peut laisser entre les mains du marché des biens aussi essentiels que la santé. (Isabelle Ferreras)

L’élément clé est de comprendre qu’il est important de ne pas laisser ledit « marché du travail » décider pour nous. Car le marché n’est pas neutre, il n’est pas juste. Ce serait laisser à ceux qui le contrôlent décider de tout. Il faut préserver certains secteurs de la loi du marché et revenir à ce fondement : le travail n’est pas une marchandise. (Julie Battilana) »